Pourquoi les prix de l’électricité sont-ils si fous ? Des surprofits partout ?
Depuis 2006, la vente de l’électricité est structurée en marché en Belgique. Ce marché, d’abord restreint à quelques pays européens, s’est progressivement élargi à une grande partie de l’Europe, avec les couplages et synchronisations successifs. La particularité de ce mode de vente est qu’il est organisé en collectant, la veille par exemple, les offres de prix de chaque producteur du marché. Classé par ordre croissant de prix, une courbe d’offre est obtenue : la fameuse courbe de préséance économique ou « merit-order curve ». Son croisement avec la courbe de demande établit alors automatiquement le prix de l’électricité du jour, sans qu’il n’y ait aucune négociation (bien que des négociations de vente d’électricité aient lieu en dehors de ce marché, dans les "contrats de gré-à-gré").
Lorsque la demande d’énergie est faible, le renouvelable et le nucléaire suffisent à y répondre et le prix est bas. Lorsque la demande est forte, le prix s’établit au coût des unités les plus chères, comme par exemple le gaz, dont la pénurie due au conflit ukrainien a fait monter le prix, qui en cascade a fait explosé le prix de l’électricité. Ce prix élevé de l’électricité est ainsi appliqué à toutes les unités de productions, même aux renouvelables et au nucléaire, qui voient ainsi leurs revenus considérablement augmenter, qualifiés de surprofits. Rappelons que ce revenu n’est pas le bénéfice, puisque ces revenus doivent aussi couvrir les frais d’investissement, non compris dans la courbe (prix marginal de l'électricité).
Sans avoir à modifier la logique de marché européenne, le gouvernement fédéral veut corriger la situation en captant ces surprofits via une taxe, dénommée "contribution de crise". La ministre de l’Énergie, Tinne Van der Straeten (Groen) a dit en substance : "À temps exceptionnels, mesures exceptionnelles. Le vendredi 30 septembre, les ministres européens de l’Énergie ont voté un cadre légal permettant à l’État membre de lever cette contribution de crise visant à écrémer ces surprofits issus de prix exceptionnellement élevés." Le seuil belge définirait les surprofits à 130 €/MWh (ou 0,13 €/kWh), permettant une contribution supérieure à celle du montant préconisé par l’Europe, à savoir 180 €/MWh. La mesure vise, notamment, les producteurs d’électricité renouvelable (qui n’utilisent pas du gaz). La ministre Tinne Van der Straeten espère un vote avant la fin de l’année. La Belgique pourrait alors récupérer 2,1 milliards d’euros chez les producteurs d’électricité, en plus de montants prélevés dans les secteurs gazier et pétrolier. Pour le Premier ministre Alexander De Croo, cette contribution amènera l’argent (trop) perçu par certains producteurs dans les caisses de l’Etat, pour financer les mesures actuelles de soutien aux ménages et aux entreprises. Autrement, cet argent risque de couler dans les poches, qu’on peut croire déjà bien remplies, des actionnaires des grands électriciens.
Xavier Gillon et Joseph François